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Les Chroniques d'Ostermark Ch 10-12


Shallya


Ils finirent par sortir du bain et rallumèrent la lumière constatant alors le bazar qu’ils avaient semé. Ils rigolèrent comme des enfants en s’attelant au rangement de la pièce. Puis ils s’éclipsèrent par la même porte pour se glisser dans le lit confortable d’Anna.

— Bon, j’imagine que tu attends ses informations avec impatience, le nargua-t-elle en jouant avec sa barbe. À vrai dire, Olberic avait presque oublié le but premier de leur rencontre tant il était accaparé par sa beauté.

« Il se trouve que ton cher ami le bandit compte partir dans quelques jours pour Kislev avec tout ce qu’il a rançonné. Il se cache actuellement dans une bourgade abandonnée à mi-chemin de Bechafen, le village d’Erinkdol. Il se trouve au nord de la grande route cependant le chemin qui y menait doit maintenant être recouvert par la végétation, mais bon tu ne devrais avoir aucun mal à le trouver. Sa voix se fit de plus en plus faible tandis que ses yeux se fermaient de fatigue. Olberic absorba les informations. « Il va falloir partir demain au plus tôt alors… » se dit-il pensivement. Il resserra son étreinte contre le corps dévêtu de la femme, savourant son parfum avant de sombrer dans un sommeil des plus doux.

Ils furent réveillés par le chant des oiseaux alors que l’aube naissant éclairait la petite pièce. Anna se leva pour se préparer alors qu’Olberic s’habillait.

— Tu pars aujourd’hui non ? Olberic sentit la pointe de tristesse qui transparaissait dans sa voix.

— Oui il le faut, dans quelques heures nous serons sur la route. Il ne put s’empêcher d’avoir un pincement au cœur. La vérité étant qu’il aurait préféré rester, il ne pouvait toutefois laisser filer cette prime.

— Va alors, je te rejoins tout à l’heure pour te souhaiter un bon voyage, lui dit-elle en l’enlaçant.

Il se dégagea de son étreinte avec regret et prit sur lui pour se reconcentrer sur le travail à venir. Rapidement il rassembla ses affaires et partit chercher Isidore qui dormait encore dans son lit.

— Fils, réveil-toi, nous devons partir tôt aujourd’hui, dit-il tout en le secouant.

— mmmmm laisse-moi roupiller, je suis bien ici, maugréa l’enfant à moitié endormi.

— Lève-toi si tu ne veux pas mon pied au derrière, aller aller ! rétorqua-t-il insensible aux protestations de son fils.

Ils finirent par redescendre dans la salle à manger de l’auberge. Pendant qu’Isidore s’attaquait à une tourte à la viande en guise de petit déjeuner, Olberic préparait la marche. Il discuta quelques minutes avec l’aubergiste pour récupérer des provisions alors que les autres clients commençaient à se réveiller et à emplir la pièce. Les serveuses s’activèrent rapidement en un ballet incessant de plat et le silence vierge de l’aube fut vite bafoué par le brouhaha habituel.

Soudain, le chef de la milice, le visage presque aussi écarlate que ses cheveux ouvrit la porte en trombe accompagnée par deux autres hommes armés de vouge.

— Que personne ne sorte de l’établissement, il y’a eu un meurtre cette nuit et il y’a des chances pour que coupable soit ici même ! Nous allons vous interroger donc restez à vos places, s’époumona-t-il coupant cours aux discussions des badauds qui étaient attablés dans la salle.

Olberic fit la grimace. Il pensait avoir le temps de partir avant que le corps ne fût découvert. Non pas qu’il s’inquiétait du jugement, après tout, il avait rendu service à la nation, mais plutôt que le temps lui était précieux. Sa prime n’allait pas attendre gentiment qu’il règle ses problèmes avec Verena. Il décida de prendre les devants, sur de la justesse de ses actes.

— Hola sergent, ne vous donnez pas la peine d’importuner tous ces voyageurs, le coupable vous l’avez devant vous. Sachez toutefois que l’homme le méritait, car ce n’était autre qu’un déserteur, un ennemi de l’empire qui servait des puissances obscures, j’ai pris l’initiative de m’en occuper sans attendre qu’une prime ne soit émise, héla avec nonchalance le chasseur sûr de lui tout en provoquant une vague de murmure paniqué dans la pièce.

Immédiatement, le soldat se porta à son niveau suivi des deux autres gardes qui pointèrent leurs lames affûtées vers Olberic. Furibond il dit en le désignant du doigt.

— Je te connais étranger, tu étais venu me voir pour du travail. Sans preuve ta parole ne vaut pas mieux que le crottin qui souille mes bottes.

Olberic sourit à demi et désigna du menton une jeune femme dans la foule qui portait une robe blanche ornée du cœur saignant de Shallya.

— La gente demoiselle présente ici saura m’innocenter, croyez-moi.

Elle le regarda avec surprise, mais s’avança au milieu de la foule sans hésitation.

— Je peux vous aider à élucider cette énigme, Sergent. Si cet homme dit vrai alors le lieu du meurtre sera souillé des traces de la malfaisance de ceux qui pactisent avec les sombres puissances, dit la prêtresse de Shallya avec assurance.

Male à l’aise le milicien hoche la tête et acquiesça.

— Bien, je vais vous mener sur la scène de crime. Vous deux, faites-en sorte qu’il se tienne tranquille.

Les deux gorilles prirent la hache d’Olberic et le poussèrent dehors à la pointe de leurs armes. Il eut juste le temps de faire signe à Isidore de ne pas intervenir et de rester en retrait. Son fils se contenta de le suivre à distance avec la foule grossissante de curieux. Ils finirent par arriver devant la petite cabane ou tout s’était déroulé.

— Chasseur, tu vas me raconter ce qu’il s’est passé et sous quelles circonstances tu as jugé que sa vie était perdue au profit des ténèbres lui demanda doucement la jeune femme.

Olberic lui raconta la rencontre en omettant de mentionner son fils et l’implication d’Anna. À l’évocation de Grand père, la prêtresse tressaillit et son regard devint dur comme de l’acier. Une fois le récit terminé, elle s’engouffra dans la cabane sans dire un mot. Quelques minutes plus tard, elle revint, le visage blafard et couvert de sueur, ses lèvres tellement serrées qu’elles étaient blanches.

— Sergent, dispersez la foule, et brûlez cette cabane jusqu’au sol, il ne doit rien rester. Et vous deux, libérer cet homme, il a rendu un service inestimable à l’Empire.

Les deux hommes grognèrent, mais finirent par baiser leurs armes. Ils restituèrent son équipement à Olberic qui s’empressa de remercier l’aide de la prêtresse.

— Le poison avait touché son âme et qui sait ce qu’il aurait pu entreprendre, vous n’avez fait que votre devoir, lui répondit-elle en lui enserrant les mains. Tenez, prenez cet insigne et si vous allez à Bechafen passez au temple sur la Kriegplatz. Ils seront heureux de récompenser votre courage, dit-elle en lui tendant un petit insigne de bronze sur lequel était gravée l’icône de la colombe.

Il prit le cadeau avec délicatesse et remercia la prêtresse d’un signe de la tête. Il rejoignit ensuite son fils qui sautillait d’impatience parmi la foule.

— Elle t’a dit quoi ? On est des héros ? dits on est des héros ?! Olberic lui donna la médaille en bronze en guise de réponse.

— Tiens, tu la mérites, lui dit-il tout sourire.

Ils retournèrent à l’auberge pour finir de préparer leurs voyages. Sur le chemin, nombreuses étaient les personnes qui chuchotaient en les regardant les yeux arrondis par la nouvelle de leur exploit. Olberic semblait particulièrement déchaîner les passions chez un groupe de jeunes paysannes qui les suivaient en gloussant. Bien que flatté, il se serait bien passé de ce tintamarre gratuit. À devenir trop célèbre, on en perd la crédibilité requise pour le métier. Anna les accueillit toute soulagée après les avoir vu emmener par la garde et les gratifia tous les deux d’une embrassade chaleureuse, ce qui ne manqua pas de provoquer quelques réactions grivoises de la part du groupe qui continuait de les observer telles des oies curieuses. Elle n’en fit cure et aida le père et le fils à finir tous les préparatifs. Elle en profita pour glisser dans le sac à dos d’Olberic un paquet bien rebondi dont l’odeur de miel et de graine de pavot laissait présager un trésor sucré des plus appétissant. Avant de se mettre en marche, Olberic prit quelques minutes par pure politesse afin de prévenir le groupe de vieux vétérans qu’ils avaient rencontré voilà quelques jours. Ils devaient normalement les accompagner, mais la situation avait évolué et il n’avait plus besoin de cette couverture. Sa célébrité naissante les impressionnait toutefois suffisamment pour qu’ils n’en prennent pas ombrage et ils finirent même par lui accorder un salut militaire maladroit avec leurs membres handicapés. Enfin, les sacs furent harnachés, les vestes boutonnées et les voyageurs prêts à partir. Anna les suivit jusqu’aux portes du village, tenant fort la main de l’homme. Olberic, bien qu’il ne le montrât pas, était attristé alors que ses pensées ne pouvaient se détourner de ces derniers jours en sa compagnie.

— Soit prudent sur la voie chasseur, j’espère que ceci n’est pas un adieu. Dit-elle la voix chevrotante alors que des larmes naissaient au coin de ses yeux en amandes.

— Que les dieux te gardent, ô nymphe de mes rêves, dit-il en souriant, puis il rajouta au creux de l’oreille « je serais présent dans la région un certain temps j’en suis sûr. On se reverra à Bechafen. »

Elle sortit un petit papier sur lequel elle nota avec un morceau de fusain une adresse.

— Voici la maison de ma cousine, je logerais là-bas dans les prochains jours. Quand tu auras le temps, tu n’auras qu’à passer nous voir pour nous compter tes exploits.

— Nous n’y manquerons pas, puis il l’embrassa une dernière fois, longuement comme pour imprimer la saveur de ses lèvres sur les siennes.

Elle lui caressa la joue puis se baissa vers Isidore qui flânait à coter, attendant que son père soit près.

— Et toi petit soldat, fait attention à toi et à ton père, lui dit-elle, et l’embrassa sur le front. Quand elle le lâcha, Isidore était rouge comme une pivoine. Il lui dit toutefois l’air fier.

— Bien sûr, je suis le meilleur à la fronde, et sûrement le plus capable de nous deux, je le défendrais de ma personne !

— Je n’en doute pas, s’écria-t-elle en éclatant de son rire cristallin, aller partez, je vous ai suffisamment retenue.

Sans un mot, ils descendirent la route qui serpentait en direction de la forêt. Ils se retournèrent pour offrir un dernier salut à la silhouette lointaine qui continuait de les suivre du regard. Sa robe bleue flottante au vent, elle ressemblait à un saphir posé sur un horizon d’or. Enfin, cette vision s’estompa alors que le sentier disparaissait sous la canopée touffue après un énième tournant. La route était encore déserte et après ces deux jours mouvementés les deux comparses avançaient d’un pas léger, heureux de se dégourdir les jambes. Rapidement l’astre fut haut dans le ciel et la température monta en flèche jusqu’à devenir insupportable. À plusieurs reprises, ils s’arrêtèrent pour se rafraîchir au ruisseau qui suivait la route. Il fallait qu’ils s’économisent au vu de la traque qui les attendait et des épreuves futures. Ils s’octroyèrent même le luxe d’une petite sieste après avoir dégusté les pâtisseries d’Anna à l’ombre d’un gigantesque sycomore qui se trouvait le long du chemin.


La chasse


Ce fut en fin d’après-midi qu’ils identifièrent le lieu des embuscades. Le sentier faisait un coude et s’élargissait en donnant sur une petite clairière champêtre. Ici et là, des traces profondes de chariot venaient scarifier le parterre fleuri comme si plusieurs véhicules s’étaient arrêtés. Olberic s’accroupit pour observer les différentes traces qui aux fils du temps s’étaient emmêlées comme une pelote de file. Au bout de quelques minutes, il fut récompensé en trouvant des restes de charbon ainsi que ce qui ressemblait à des reliquats de métaux. Il avait entendu qu’une caravane destinée aux chantiers navals de Bechafen avait possiblement été rançonnée sur la route. Cette théorie fut finalement corroborée par la découverte d’Isidore, un marteau de forgeron flambant neuf qui devait être tombé du chariot lors de l’attaque et qui reposait sous la souche d’un arbre mort. Les traces de sang séché sur cette même souche étaient elles aussi sans équivoque quant aux évènements qui s’étaient déroulés en ces lieux. Le souci étant que nul sentier ne se dessinait alors que le sous-bois dense semblait leur barrer la route telle une muraille impénétrable. Isidore finit par comprendre la supercherie que les bandits avaient mise en place. Alors qu’il cherchait à escalader des rochers, il trébucha et voulant récupérer son équilibre, s’agrippa fermement à un grand buisson de laurier. Après un roulé-boulé accompagné de la plante en question il finit tête la première dans le fossé, les pieds par-dessus les fesses. L’arbuste, arraché de ses supports n’était qu’une ruse permettant de dissimuler le passage aux yeux des curieux. Suffisamment dense, il aurait fallu grimper sur le talus et se frayer un chemin parmi les ronces pour détecter le stratagème. Le visage griffé par sa dégringolade, il n’en souriait pas moins de satisfaction. Ils prirent leurs affaires et s’engagèrent sur le sentier à peine visible au milieu des végétaux. Le passage de la charrette avait toutefois dégagé le sous-bois pour leur rendre la tâche plus aisée que ce qu’il aurait dû l’être. Après une bonne heure de marche ils finirent par arriver fasse à une borne en pierre à moitié écroulée. La gravure encore visible malgré des éons d’intempéries indiquait le village d’Erinkdol à seulement quelques kilomètres. À partir d’ici, la forêt était plus clairsemée et doucement révélait les vestiges de l’occupation humaine. Des parapets moussus recouverts de lierre étaient bordés par des bergeries en ruine tandis que les anciens champs défrichés par la force et la sueur des paysans d’autrefois étaient petit à petit grignotés par la végétation sauvage.

— On va être prudent maintenant, les traces nous mènent au village, mais on ne sait jamais si l’un d’eux est parti chasser ou monte la garde. On va attendre le crépuscule et avancer en coupant au travers du bois, discrètement, dit Olberic doucement en s’accroupissant au côté de son fils.

— D’accord père. Ne t’inquiète pas, je suis prêt à me battre, le répondit-il en sortant sa fronde.

Olberic le mena jusqu’à une hutte en ruine et ils s’installèrent à couvert le temps que le soleil descende dans le ciel. La forêt retentissait des chants de centaines d’oiseaux, alors que les insectes papillonnaient gentiment, profitant de l’abondance de fleurs multicolores pour se gorger de nectar. Ce lieu devait être idyllique à l’époque et Isidore se mit à rêvasser, imaginant les enfants qui vivaient ici à l’époque s’amuser à cache-cache parmi les hautes herbes. Quand Olberic jugea l’heure bonne, ils prirent leurs armes et à la discrétion de la pénombre naissante se glissèrent sur d’anciens sentiers qui serpentaient le long des prairies. Ils finirent par arriver en lisière de la forêt qui donnait directement sur le village en ruine. Une palissade en bois l’entourait en pourrissant sur pied. Les maisons ne payaient pas de mine alors que les trous béants qui accablaient leurs toits montraient le délabrement avancé de la place. Un éclat de voix retentit faisant sursauter Olberic et Isidore qui se mirent à couvert immédiatement. Visiblement, deux hommes s’échangeaient des propos injurieux à forte voix. Les grivoiseries paillardes raisonnaient parmi les murs décrépis faisant même s’envoler une troupe de canard sauvage qui semblait outré par ces propos.

— Fils de chienne galeuse ! Quand je te dis de préparer les chevaux pour demain ce n’est pas pour que tu en profites pour boire en cachette ! espèce de sac à pisse, tu n’es bon qu’a picolé comme un Hochlandait !

— Ta gueule, tu as lfeu au cul ma parole ! À croire que tu aurais chopé la chaude pisse avec ta catin, tu tiens plus en place ! Y’a personne pour nous emmerder ici, et on sera parti bien assez tôt !

Un bruit de verre brisé retentit alors suivi de bruits de pas précipité.

— Putain ça va, ça va jm’occupe des canassons !

Une silhouette émergea alors de derrière l’une des masures. L’homme était d’une petite taille, marchait les jambes écartées et le dos légèrement vouté à la manière des gens qui passe une bonne partie de leurs vies à chevaucher des destriers. Une longue tignasse blonde se déroulait sur ses épaules jusqu’à un arc court attaché dans son dos. Il se dirigea de son pas gauche jusqu’à une grange d’où vinrent les bruits caractéristiques de chevaux qu’on harnache.

— Voici donc son comparse l’archer. On va se glisser jusqu’à la palissade pour avoir une meilleure vue, mais je pense que l’on va attendre la nuit. Ils ne semblent pas être sur leurs gardes et passablement ivres, chuchota-t-il à son fils.

— Des cibles faciles, je pourrais les canarder quand ils seront en train de bivouaquer, lui répondit Isidore excité en vue de l’action à venir.

Ils s’avancèrent pour repérer le terrain et finirent par dégager une trouée dans le mur qui leur offrait un bon point d’observation sur leurs campements. La assis près d’une tente se trouvait leur prime principale qui n’était autre qu’un géant à la longue chevelure rousse et à la barbe fournis. À ses côtés reposait une hache de bucheron et Olberic ne put s’empêcher de penser aux dégâts que pouvait occasionner une telle arme entre les mains d’un être si massif. Ils reculèrent à l’abri des fourrés tout en gardant un œil sur le bivouac des deux criminels.


Mauvais présages


Rapidement la nuit se fit alors que la lune ronde et brillante prit sa garde dans le ciel, éclairant la forêt de sa lumière blafarde. Les abeilles et les oiseaux bariolés laissèrent place à des bancs désordonnés de chauves-souris et aux lucioles qui par dizaine semblaient faire reflets aux étoiles éclatantes. Les deux comparses avaient allumé un grand feu qui illuminait la trouée principale du village et qui étirait les ombres donnant un air surréaliste à la scène. Isidore et Olberic s’avancèrent vers l’entrée de la palissade en suivant le sous-bois tout en restant cachés. Arrivés à la lisière de la vieille route, ils entendaient avec discernement les éclats de voix des criminels qui résonnaient fort dans les bourrasques. Alors qu’Isidore s’apprêtait à sortir de son couvert pour se diriger dans le bourg son père le retint de sa main en lui mimant que quelque chose clochait. Il lui fit signe d’écouter. Seul le bruissement des branches et des rires gras leur provenaient. La forêt s’était tue tandis que les bourrasques s’intensifièrent projetant de lourds nuages devant la lune ce qui plongea les bois dans une obscurité profonde. Le courant d’air était froid et le vent semblait chargé d’électricité laissant un goût amer sur le palais d’Olberic. Son instinct le tiraillait alors qu’il sentait un danger invisible s’insinuer dans les parages. Il s’aplatit au sol en plaquant Isidore avec lui. L’odeur forte de l’humus satura leurs papilles et les branches de plus en plus agitées voltigeaient en tous sens. L’obscurité naissante les empêchait de bien voir la route malgré tous les efforts qu’ils faisaient. Soudain, Isidore qui plissait les yeux à la recherche du moindre mouvement étouffa un cri tout en saisissant son père par l’épaule. Il lui désigna le chemin qui plongeait dans la forêt. Olberic ne détecta rien au premier abord, mais après quelques secondes d’observation il réalisa qu’ils n’étaient pas seuls. Six silhouettes noires se déplaçaient en silence parmi les herbes hautes comme s’ils glissaient sur le sol. À peine discernable dans les nuances grises des ténèbres, il émanait d’eux une aura mystiques, annonciatrices d’évènements terrifiants. La peur se répandit dans le cœur d’Olberic qui se cramponna à son fils tout en essayant de rester un maximum immobile. Les lourdes capes noires rendaient leur identification impossible, mais les apparitions se mouvaient avec agilité et rapidité, bien que légèrement voûtée. Ils n’arrivaient pas à savoir si les ombres étaient humaines ou s’ils se cachaient quelques horreurs sous les capuchons pointus qui les habillaient. Dans tous les cas ils ne désiraient pas vraiment le savoir. Elles s’approchèrent du village en arc de cercle parfait. L’une d’elles passa si proche de leurs positions qu’il put sentir le musc qui s’en dégageait, comme un relent de soufre et de sueur. La créature s’arrêta soudainement quelques mètres après avoir frôlé leurs cachettes. Elle huma l’air comme faisaient les prédateurs pour repérer leurs proies, mais heureusement le vent couvrait leur odeur. Elle continua de fureter les alentours comme à la recherche d’un intrus qui restait invisible. Elle finit par tourner la tête vers leur position et Olberic discerna pendant quelques secondes son regard qui brillait dans le noir qui l’habitait. Deux yeux luminescents à la manière des chats auréolés d’une lueur rouge qui ne reflétaient qu’une cruauté sauvage. Olberic crut qu’elle l’avait repéré, mais elle finit par détourner son attention et rejoignit ses compagnons qui s’étaient groupés devant les portes. Les flammes éclairaient par à-coup la scène donnant une impression saccadée au mouvement des créatures. On aurait dit des insectes grotesques qui rampaient sur le sol et les murs, mouvement inexorable de la mort elle-même : ils chassaient ce soir. Elles disparurent de leurs visions, mais ils ne bougèrent pas pour autant. Olberic pouvait sentir la respiration précipitée d’Isidore qui retenait ses larmes, mais ne cédait en rien à la panique. Les deux hommes dans le village continuaient de ripailler, inconscients du danger qui se dirigeait vers eux. Soudain le silence se fit, suivi rapidement d’un juron et d’un bruit de verre brisé. La plainte stridente des lames qui s’entrechoque et le cri puissant de l’agonie alors que le bruit horrible de la chair lacérée prit le dessus. Il n’y avait plus de signe de vie des deux brutes, mais durant des secondes qui semblait être une éternité, les coups s’acharnèrent sur les corps, raisonnant comme le vacarme saisissant des meurtres violents. Enfin le calme se fit, seulement troublé par le vent faiblissant et le murmure de la vie nocturne qui doucement se réveillait. La lumière du firmament illumina la forêt alors que les nuages capricieux se dispersèrent à vue d’œil. La scène étrange semblait ne jamais avoir eu lieu, comme un cauchemar que l’on préfère oublier. Olberic et Isidore toutefois ne l’oublieraient jamais, et des heures durant ils restèrent coller l’un à l’autre caché sous le feuillage de leur buisson.


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