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Les Chroniques d'Ostermark Ch 8-9

Rencontre


Olberic se rassit sur le lit en poussant un long soupir tout en bourrant sa pipe de tabac frais. Isidore revint enfin portant un lourd baquet plein à ras bord. L’eau fraiche sur son corps eut l’effet d’une décharge électrique et il se réveilla immédiatement en mugissant de colère. Sa bouche, bâillonnée par un tissu sale, ne lui permit d’exprimer qu’une plainte pitoyable qui se transforma ensuite en grondement sourd alors qu’Olberic lui souriait de manière narquoise.

— Écoute-moi mon gars, on va établir une règle simple, je te retire ton bâillon, tu réponds à mes questions et mon amie ici présente ne te fera aucun mal, dit-il d’une voix froide tout en passant le fil de sa lame sur la gorge nue du prisonnier.

Il lui rendit un regard de fou et Olberic sentit un frisson lui parcourir l’échine. Avec précaution il lui enleva le tissu qui lui ceignait la bouche.

— Qu’est-ce que vous me voulez à la fin ? Mon argent haha ? ai-je l’air si fortuné que ça ? croassa-t-il, la gorge sèche.

— Tu sais très bien pourquoi on est là fils de catin, tu crois qu’Anna ne t’a pas reconnu avec ton ptit jeu ? Et le cochon dans ton débarras on en parle ? Ça ressemble à de la désertion, et vu ta tronche ça ne m’étonnerait pas. Tu sais ce qu’ils font aux déserteurs traine merde ? le menaça-t-il tout en lui crachant au visage.

— Il lui répondit goguenard, dévoilant ses chicots pourris. HAHAH tu ne comprends pas, cette salope m’appartient déjà, comme tous les hommes suffisamment fournit pour se payer ses servi…

Une gifle le coupa avant la fin de sa tirade. Olberic fulminait, animé par des sentiments qu’il n’avait plus ressentis depuis des années.

— Je résume, tu es un déserteur, un fils de chien, et tu abordes une belle cicatrice. Je suis curieux, que représente-t-elle ?

— Alors c’est ça ? Tu t’introduis chez moi, tu me fil une rouste, et quoi ? On taille le bout de gras comme de bon citoyen de l’empire un jour de marché ? Qu’est-ce que ça peut te foutre ce qu’il représente ? Et pour la désertion reste à le prouver fouille-merde.

— Bien bien, je ne sais pas pour le charnier sur ta poitrine, mais ça, je connais. Il désigna un sigle que l’eau fraiche avait révélé sous la crasse et le sang séché. Les stigmates des cicatrices qu’il s’était infligés n’avaient pas suffi à cacher le dragon de l’Ostermark, généralement présenté sur l’étendard des compagnies de première ligne et la peau de ceux qui les composent.

Il eut pour seule réponse un sourire ensanglanté et un regard de fou.

— Tu lui voulais quoi à Anna a par profité d’elle ? Que je sache si je dois te livrer à la garde ou te finir moi-même comme la bête enragée que tu es.

À défaut de donner une réponse, il tourna son visage goguenard vers Isidore.

— C’est ton père ? Haha je te ferais regarder quand je le tuerais. Je jetterais son corps aux mouches tandis que tu deviendras mon serviteur !

Un crochet du droit bien senti fit craquer ses cotes et le coupa dans ses menaces. Il continua de rire toutefois, de plus en plus exciter, ses liens craquant sous l’effort.

— Et je le sacrifierais chasseur ! Tu entends, il pourrira comme les autres au côtés du pestilent, il pourrira au côté de ta catin ! s’exclama-t-il en exubérant, les yeux roulants dans ses orbites.

— Bien, je crois que j’en ai entendu suffisamment. Isidore, cache-toi les yeux.

— Pouh ahah ummm eureurk hahah ! Il est la finalité, l’alpha et l’oméga ! Tu ne comprends pas chasseur, grand-père te regarde toutes les secondes de ta putain de vie, grand-père t’attend !

L’homme se cabra en arrière faisant craquer la chaise avant qu’Olberic ne puisse réagir. Sa bouche s’ouvrit tandis qu’un râle lugubre en sortit. Ses yeux ne présentaient plus que le blanc laiteux, strié de sang, révulsé. Une complainte s’éleva alors de sa gorge.

« La mort et la renaissance chasseur ! RAK ETPUR RAK ET Mu’LAR RAK MOD’VIT VAREK EKTAR ! » Il ne fallut qu’une seconde pour que la réalité ne se transforme en cauchemar. Les murs de la cabane se mirent à grincer tandis que l’espace de la chambre semblait de plus en plus confiné comme si une pression immense s’exerçait dessus. La vue d’Olberic et d’Isidor n’était plus qu’un tunnel étroit, envahi par des visions terrifiantes d’un monde promis à la pestilence rampante et la mort inévitable. Leurs sens brouillés par le ronflement strident de milliers de mouches, ils étaient sur le point de tomber à genoux, sonnés par la litanie gutturale de l’homme. Ses incantations impies étaient accompagnées par un flot incessant de mucus nauséabond qui coulait en cascade de ses orifices. Une seconde qui dura une éternité, une seconde ou la vie et la mort dansaient sur le fil de l’épée. Son dialecte se stoppa un instant avant de reprendre dans un gargouillis trainant, les paroles presque indiscernables alors que la hache d’Olberic se retirait de sa mâchoire pendante dans un bruit horrible de succions. Un deuxième coup partit alors que ses sens lui revenaient peu à peu à fur et à mesure que la pauvre créature faiblissait. La lame s’enfonça profondément dans son crâne, les os craquèrent en faisant jaillir un déluge de sang coagulé à l’aspect glaireux. Cela faisait quelques secondes que la pression sur ses tympans avait disparu et que le cauchemar s’était estompé, mais l’arme continuait de fouiller la chair en bouillie. Un coup final délogea la tête méconnaissable qui vint tomber dans une flaque acide de fluide corporel. Le bois sifflait légèrement sous l’action corrosive des humeurs. Le silence se fit enfin, seulement troublé par les pleurs saccadés d’Isidore qui restait sous le choc de ces quelques instants. Sans un mot, Olberic le prit à bras le corps et partit à grands pas dans la nuit profonde, le souffle court et le cœur hurlant comme s’il allait exploser. Il l’amena à la rivière non loin pour se nettoyer et être sûr que rien n’était venu empoisonner leurs affaires. Ce fut à ce moment-là qu’il remarqua que la lame de sa hache semblait être rongée par de la rouille qui dans un chuintement faible continuait de se répandre sur le fer, tel un champignon sinueux. « Merde ! » s’écria-t-il en la plongeant dans l’eau avant de la frotter sur un tas d’herbe. La tache partit, mais l’arme portera à jamais ses scories, comme les témoins silencieux de cette rencontre mortelle.


Baume


Une fois leurs toilettes terminées, ils retournèrent vers l’auberge. Ils ressentirent un soulagement certain au vu de la lumière chaude et de l’ambiance festive. Olberic ramena deux chopes mousseuses du comptoir et ils burent doucement leurs bières, savourant chaque goulée.

— Père, qui était-ce cet… homme ? dit Isidore en hésitant.

— Il était un homme perdu, nous lui avons fait une faveur ce soir. Le pauvre bougre avait pris un chemin dont on ne revient pas, répondit Olberic d’une voix lourde de sens.

— Et grand-père ? Il ne parlait pas vraiment de sa famille non ? insista l’enfant, la voix encore chevrotante.

Olberic tressaillit à la mention de ce nom. Il savait qui se cachait derrière ce sobriquet somme tout anodin. Il se souvint de ces jours dans le sud ou un village avait succombé à la peste. Le seigneur pour lequel il travaillait à l’époque lui avait ordonné d’escorter une congrégation de Shallya qui devait purifier le lieu et s’occuper des morts. Sur place tout le monde avait péri face à la terrible maladie, et ils avaient tout brulé tout en se lamentant et pleurant leurs larmes de miséricorde. Il avait compris alors en les écoutant qu’une entité se trouvait derrière ces évènements tragiques. Grand-Père, dit aussi Nurgle pour les érudits et les fous qui ont le malheur de connaitre le dieu de la pestilence, fléaux des races.

— Non, mais il était fou, je ne sais même pas ce qu’il voulait dire par là, répondit Olberic en espérant que son mensonge grossier suffise.

— Et…. Ses paroles, ce qui s’est passé tout à l’heure, on aurait dit de la magie, mais je croyais que les magisters étaient loyaux, et qu’ils faisaient le bien dans l’Empire ? Est-ce qu’il était l’un de ses sorciers qui mangent les enfants et vole les âmes ?

— Tu sais certaine personne, magie ou non, sont mauvaise. Ne t’inquiète pas pour les magisters de l’empereur, et pour le sorcier, bien oui surement, mais au final il est mort et c’est le plus important, expliqua Olberic.

« Surtout que si cela avait été un magister des collèges, nous serions morts… » murmura une voix dans le coin de sa tête. Olberic fit la grimace et se leva.

— Tu vas te coucher ?

— Non je vais aller voir Anna de suite, mais d’abord je t’accompagne en haut.

— Oui je finis mon verre et je vais dormir, répondit Isidore tout en bâillant.

Olberic prit ses affaires et coucha son fils. Il le prit dans ses bras en une étreinte silencieuse jusqu’à ce qu’il s’endorme. Il s’extirpa silencieusement du dortoir et reprit le même chemin qu’hier. Enfin il tapota à la porte bleue de sa chambre et entra sans attendre. Anna sursauta, surprise par l’arrivée soudaine de l’homme. À la vue d’Olberic elle lâcha un soupir de soulagement et rangea la dague qu’elle tenait. Elle semblait véritablement heureuse de le voir et lui dit précipitamment.

— Olberic, je me suis fait un sang d’encre, tout va bien ? Tu as l’air… soucieux.

Il vit alors son visage dans le petit miroir sur sa commode, les traits tirés, il était d’une pâleur affligeante alors que ses yeux luisaient comme s’il avait attrapé la fièvre.

— Ne t’inquiète pas, la soirée a juste été éprouvante. Ton gars-là, ce n’était pas qu’un simple vagabond.

— Que veux-tu dire ?

— mmmmmm Il semblerait qu’il ait tourné du mauvais côté durant la guerre, si tu vois ce que je veux dire. Tu m’as parlé des barbares qui ont brulé ton village... il vénérait les mêmes idoles…

Anna eut un sursaut, alors qu’une nouvelle fois les traumatismes du passé refaisaient surface. Ce fut avec une voix tremblante qu’elle lui demanda.

— Dis-moi que tu l’as tuée… 

— Bien sûr, quand je vois un chien galeux je l’abats, et si ce n’était pas lui et bien… disons qu’il ne s’est pas laissé faire. Dans tous les cas il ne t’importunera plus.

Anna se détendit alors que la pression de ces derniers jours retomba. Elle s’assit sur le lit et commença à rire, n’arrivant pas à contrôler le trop-plein d’émotion. Le rire se transforma alors en hoquètement tandis que ses joues se mouillèrent de larmes. Olberic la prit avec tendresse dans ses bras tout en l’embrassant sur le front. Elle se blottit contre lui, profitant de la chaleur de son corps comme d’un baume apaisant. Quelques minutes passèrent avant que ses sanglots ne tarissent et qu’elle puisse reprendre son souffle.

— Tu pues, on dirait que tu es tombé dans le caniveau, lui dit-elle avec une petite voix. Elle lui décrocha un sourire moqueur puis s’essuya les yeux. Aller suis moi aux thermes tu fais peine à voir.

Il se laissa faire alors qu’elle le prit par la main et le traina jusqu’aux bains. Ils étaient fermés normalement à cette heure si, mais les prostitués avaient un accès privilégié grâce une porte dérobée. Par chance, les alcôves étaient désertées ce soir par les autres filles, et les murs épais en pierre étouffaient même les bruits venant de la grande salle, donnant au tout une atmosphère de sérénité bienvenue. Elle tira un bac jusqu’à un coin de la pièce qu’elle entoura des parts à vent disponible ce qui donna une touche intimiste à la scène. Elle disposa enfin quelques bougies qui diffusèrent une lumière chaude et rassurante. Leurs parfums lourds de lavandin vinrent rapidement saturer l’air alors qu’Anna remplissait une grosse bouilloire en fer d’eau qu’elle mit à chauffer. Lorsqu’elle revint, Olberic se trouvait dans le plus simple des appareils, assis dans le baquet en bois. Posée sur un tabouret, une pièce en argent luisait doucement dans la pénombre, les bougies faisant danser des reflets d’or sur sa surface. Elle posa le récipient et s’agenouilla au côté d’Olberic. Elle prit le morceau de métal et la déposa dans sa main qu’elle referma avec fermeté.

— Je suis peut-être encore une prostituée, mais ce soir, je suis libre de choisir, lui rendant son regard, ses yeux bleus magnifiques braqués dans les siens.

Elle finit par dire dans un murmure suave, sa bouche à peine mouvante « Je te choisis toi, mon humble chevalier qui a volé à ma rescousse ». Elle ponctua sa phrase par un sourire mielleux. Ses lèvres étaient rouges, contrastant fort avec sa peau pâle comme du sang sur la neige. Une fine pellicule de transpiration faisait luire son corps et ses cheveux lâchés ondulaient le long de sa nuque nue. Elle ne manqua pas de remarquer l’excitation naissante chez le chasseur, ce qui la fit doucement glousser avant qu’elle ne l’embrassât avec passion. Un long baiser semblable à la brise du printemps portant les saveurs interdites de quelques fruits exotiques. S’en suivit une série, plus petite et déposée avec tendresse sur le visage comme la rosée fraiche du matin. Le cœur d’Olberic battait fort tandis que le désir l’envahissait. Elle se retira et d’un geste langoureux fit tomber sa robe, dévoilent son corps de vestale, sa peau blanche semblable aux marbres des statues ciselées de quelques palais anciens. Elle versa la bouilloire et remplit de baquet. La vapeur remplissait la pièce et l’eau chaude ne fit que galvaniser Olberic qui saisit les mains d’Anna qui le rejoignait dans le bain. Elle s’assit au-dessus de lui et se laissa pénétrer, alors qu’il était submergé par le désir. Longuement ils firent l’amour dans l’intimité de la pénombre parfumé comme s’ils étaient les derniers humains au monde. Les soupirs de jouissances des deux amants résonnaient le long des chambranles en pierre alors que l’eau du baquet était projetée de toute part. Les bougies s’éteignirent aspergées, les plongeant dans le noir total, alors qu’ils se collèrent l’un à l’autre dans l’orgasme partagé. Il pouvait sentir le souffle saccadé d’Anna dans son cou tandis qu'elle sentait ses muscles tressaillant. Ils restèrent ainsi quelques minutes, silencieux, savourant cet instant privilégié ou l’on dit que les âmes, liées par le plaisir, se touchent.

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